Quel chantier !

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Fermer Photo Maxime Tétard, © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, agence Pierre-Antoine Gatier
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11 janvier 2021

Quel chantier !

La Bourse de Commerce — Pinault Collection a été restaurée et transformée par l’architecte japonais Tadao Ando (TAAA – Tadao Ando Architect & Associates), l’agence NeM / Niney et Marca Architectes, l’agence Pierre-Antoine Gatier et Setec Bâtiment.

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10 mn
Par Bourse de Commerce

Trois années de transformation

Commencé en juin 2017, ce grand chantier s’est achevé en mars 2020 – pour son « gros œuvre » – après un peu plus de trois ans de travaux, suivis d’une période de levée des réserves, de finitions, d’aménagements techniques, mobiliers et muséographiques, tandis qu’à l’extérieur du bâtiment étaient simultanément conduits les travaux des abords du site par la ville de Paris.

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En janvier 2017, la Chambre de Commerce remettait les clés du bâtiment à Pinault Collection. Dans cet élan ont débutés les travaux de curage, de mise à nu du bâtiment, et la protection des éléments patrimoniaux les plus précieux. La consultation des entreprises générales a ensuite été lancée et s’est achevée par le choix de Bouygues Construction en avril 2017.

« La Bourse de Commerce, refermée sur son cercle parfait, coiffée de son impeccable coupole, restaurée par Pierre-Antoine Gatier mais revisitée par Tadao Ando et l’agence NeM, Lucie Niney et Thibault Marca, sera ce lieu où l’imprévisible peut devenir évident, l’inimaginable réel et l’inespéré possible. Un révélateur, donc, de la création en train de se faire et, de ce fait, un miroir du monde. » Jean-Jacques AiIllagon

Situé au centre de Paris, dans le jardin des Halles et s’ouvrant sur la rue du Louvre, ce bâtiment est emblématique de l’histoire de Paris et de son architecture. Après une restauration exemplaire qui en a sauvegardé toutes les beautés, il se tourne aujourd’hui vers la création contemporaine.

« La Bourse de Commerce est un lieu qui porte une histoire, les traces de plusieurs bâtiments, c’est un bâtiment en mutation. » Lucie Niney et Thibault Marca, NeM Architectes

Le bâtiment est aujourd’hui revivifié par le geste de Tadao Ando, mais l’importance de la valeur patrimoniale de la Bourse de Commerce a imposé une démarche d’investigations historiques. L’enjeu était alors de restaurer sans trahir, et de transformer sans détruire. La structure de l’édifice de la Bourse de Commerce a non seulement été préservée, mais elle est restée « vivante » grâce à la création d’un auditorium au sous-sol. Le cylindre de béton s’insère à la fois dans l’anneau des façades de pierre sans l’impacter, mais aussi sur le plancher de métal de la fin du 19e siècle existant.

« C’est le contexte qui nous a amenés à utiliser moins de béton et à transformer la constitution même du mur qui nous a servi à régler des problématiques de climat de rotonde et de lumière, et on a travaillé un petit peu sur la texture aussi du béton, pour l’acoustique. Il n’y a pas de formule magique du béton Ando. D’ailleurs, on pensait qu’on serait détenteurs d’un secret, mais en y pensant, finalement, il le dit très bien, il utilise ce matériau parce qu’il est à la fois très pauvre et universel, on le trouve partout et on peut lui donner toutes les formes qu’on veut. Le béton, c’est l’ossature même de tous les bâtiments d’aujourd’hui. » Thibault Marca

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Le cylindre est un mur utile avant d’être un geste symbolique fort : il crée un « passage » entre le bâtiment ancien et les fonctions nouvelles, il délimite une salle d’exposition, il organise des circulations, ménage des promenades et des vues nouvelles, il permet le traitement de l’air, il accueille les dispositifs d’éclairage et absorbe une partie de la résonnance de la Rotonde. Les trous de banches laissés apparents et libres accueillent des dispositifs absorbant le son et pourront être utilisés pour accrocher des œuvres.

Le cylindre est aussi une prouesse des ingénieurs et des compagnons de Bouygues : sur une âme de métal de 26 cm de large et de 9 m de haut, des voiles de béton de 12 cm ont été coulés et constituent une peau. C’est à cette condition que le plancher métallique de la Rotonde, constitué d’une poutraison en fer supportée par des colonnes en fonte a été conservé. Quant aux colonnes, certaines ont été conservées tandis que d’autres ont été remplacées à l’identique grâce au savoir-faire traditionnel d’une fonderie du Val-d’Oise.

« Nous avions l’envie et le devoir de préserver la structure du bâtiment, et donc de conserver le plancher du rez-de-chaussée afin que le cylindre vienne s’insérer dedans. Lorsqu’on ajoute un élément contemporain dans des bâtiments classés, inscrits ou remarquables, on cherche une réversibilité de l’intervention. Théoriquement, si on voulait, dans cinquante ans, on pourrait démonter ce cylindre en béton. » Lucie Niney

Un chantier hors normes

Ce chantier colossal, divers, exigeant, s’est appuyé sur une maîtrise d’ouvrage pilotée par Daniel Sancho, qui a assuré la relation entre le commanditaire, la maîtrise d’œuvre et les entreprises.

« Le chantier de reconversion de la Bourse de Commerce en musée d’art contemporain a été mené dans des délais très courts pour un projet de cette ampleur. » Daniel Sancho, directeur immobilier

À cet impressionnant projet de construction, notamment du cylindre central, se sont adjointes d’autres réalisations, qui ont constitué des chantiers en soi. Parmi eux, celui, très patient et délicat, de la restauration de la toile marouflée et de la fresque de l’ancienne salle des Pas-perdus ; celui de la restauration de la colonne Médicis datant du 16e siècle ; celui de la restauration de la couverture d’ardoises et de zinc ; celui de l’étude et de la rénovation de la coupole édifiée par Bélanger en 1812 et de son précieux lanterneau ; celui de la rénovation à l’identique de toutes les huisseries et menuiseries en chêne d’Île de France, etc. Autant de chantiers qui nécessitaient une orchestration, des compétences et des talents singuliers : restauratrice de peinture, cordistes, spécialistes du terrazzo et granito, couvreurs, tailleurs de pierre, menuisiers, mais aussi conducteurs de drones et spécialistes de l’imagerie 3D.

« Le grand enjeu de ce projet était faire la place, de s’ouvrir au 21e siècle tout en conservant tout ce qui est le plus précieux dans la Bourse de Commerce. » Pierre-Antoine Gatier, architecte en chef des Monuments historiques

Le caractère intégral de la restauration de la Bourse de Commerce a rendu cruciale l’accessibilité à chaque élément du bâtiment. Les échafaudages intérieurs et extérieurs ont été parmi les moyens clés de la conduite du chantier. Accompagnant la géométrie circulaire de l’édifice, ils ont assuré le maintien d’un vaste « parapluie » extérieur sur la coupole et donné accès aux parois intérieures de la Rotonde, jusqu’à la coupole. Quant à l’impressionnant échafaudage intérieur, il a été conçu pour libérer l’espace central de la Rotonde et, ainsi, pour anticiper l’édification du cylindre.

Les chiffres de cet impressionnant chantier parlent d’eux-mêmes : 44 000 ardoises, 250 menuiseries remplacées, 1 450 panneaux de verre dans la coupole, 6 mois de restauration de la toile, 30 restauratrices, ou encore 150 compagnons présents sur le chantier.

 

Et derrière les murs, quelques surprises…

Au cours du chantier, une salle des machines, vestige du passé industriel des Halles et de tout un quartier, a été découverte au sous-sol de la Bourse de Commerce.

Salle des machines
Fermer Photo Maxime Tétard, © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, agence Pierre-Antoine Gatier

Au cours du chantier, une salle des machines, vestige du passé industriel des Halles et de tout un quartier, a été découverte au sous-sol de la Bourse de Commerce.

« Un premier sous-sol est aménagé dans la Bourse de Commerce par Blondel, augmenté d’un second au début du 20e siècle. Des chambres froides répondant au besoin des commerçants des Halles de Paris sont installées dans ces nouveaux espaces. Une salle des machines intégrant un matériel à la pointe des avancées technologiques est conçue. Lors de l’inauguration de la Bourse de Commerce, le procédé employé est celui de la Société parisienne d’air comprimé, fondée par Victor Popp. En 1909, Les Frigorifiques de l’alimentation de Paris engagent des travaux. L’entrepôt frigorifique se déploie désormais sur deux niveaux, chacun d’une surface de 2 400 m2. À la fin des années 1950, ils cesseront leur activité. La salle des machines n’a pas été totalement démantelée et des éléments de « machines à froid » ont été découverts lors des travaux. Appartenant au patrimoine industriel de la Bourse de Commerce, ils ont été restaurés », raconte Pierre-Antoine Gatier.

 

Salle des Pas perdus
Fermer Photo J'adore ce que vous faites, © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, agence Pierre-Antoine Gatier

« Le chantier de restauration a permis de redécouvrir le décor de l’ancienne salle des pas-perdus, entresolée au cours du 20e siècle. Oubliés derrière une cloison et ravagés par le percement antérieur de réseaux techniques, ces vestiges ont été sécurisés et restaurés en dépit de leur délabrement. Célébrée et illustrée lors de l’inauguration, la composition consiste en deux planisphères montrant les principales routes du commerce, peints sur toile marouflée », poursuit Pierre-Antoine Gatier.

 

Un bâtiment « Haute Qualité Environnementale »

Afin de garantir la qualité environnementale des opérations, le chantier a été certifié selon le label Haute Qualité Environnementale (HQE), gage d’une vigilance extrême sur les conditions d’exécution. Cette certification s’appuie sur des critères destinés à améliorer la qualité environnementale et sanitaire du cadre bâti ainsi que la dimension sociale et économique de l’opération. Autre point fort de ce chantier, l’entreprise générale a appliqué des clauses d’insertion sociale extrêmement volontaristes, puisque 7% des heures travaillées l’ont été par des personnes en formation ou éloignées de l’emploi.

Une emprise de chantier, réduite au maximum, a pris place autour du bâtiment sans empiéter sur les voiries principales. Conscients des nuisances que ce chantier pouvait engendrer pour les riverains, il a été décidé d’imposer à l’entreprise de respecter des clauses contraignantes définies par la Charte de Qualité des Chantiers de la ville de Paris, notamment en matière d’horaires de travail, de bruit, de poussière, de circulation, de gestion des déchets.

« Un chantier, c’est toujours une belle aventure. On en espère toujours la conclusion le plus rapidement possible tout en redoutant cette conclusion puisqu’elle met fin à de merveilleux compagnonnages. » Jean-Jacques Aillagon