Pierre-Antoine Gatier : «Tout est défi dans un projet de restauration.»

Pierre-Antoine Gatier
Fermer Photo Maxime Tétard
Interview
11 janvier 2021

Pierre-Antoine Gatier : «Tout est défi dans un projet de restauration.»

Pierre-Antoine Gatier, architecte en chef des Monuments historiques, revient sur le travail de restauration et de conservation de la Bourse de Commerce — Pinault Collection.

Temps de lecture
7 mn
Par Bourse de Commerce

Que fait un architecte des monuments historiques ?

Un architecte en chef des monuments historiques a la responsabilité de la conservation de grands monuments historiques, donc il se confronte au plus beau de l’histoire de l’art, de l’histoire de l’architecture, au plus nouveau, parfois au plus surprenant, avec des artisans qui sont passionnés, qui ont des talents extraordinaires, et avec des maîtres d’ouvrage qui sont passionnés. Donc c’est une grande chance, mais au-delà, c’est une responsabilité, c’est-à-dire faire en sorte que ce que l’Histoire nous a livré soit conservé et transmis.

 

Quelle est la différence entre un bâtiment « classé » et un bâtiment « inscrit » ?

 

Quels sont les plus anciens et les plus précieux éléments architecturaux conservés à la Bourse de Commerce ?

L’objet le plus ancien, le plus mythique, c’est la colonne Médicis, très bel objet de la Renaissance. Catherine de Médicis et son architecte Jean Bullant rivalisaient avec le grand modèle antique, la colonne de Trajan. L’objet est mythique aussi parce qu’on va démolir l’hôtel de Soissons de Catherine de Médicis et au 18e siècle, une première mobilisation patrimoniale sauve la Colonne Médicis, ensuite classée monument historique. C’est assez incroyable de voir comment commence cette mobilisation collective, cette idée que non, tout ne doit pas être détruit, certaines choses sont essentielles, doivent être conservées, transmises. Alors est-ce que cela veut dire que c’est l’objet le plus précieux ? Je pense que notre regard, heureusement, s’est enrichi, nous nous ouvrons à d’autres périodes de l’architecture et j’ai envie de dire que tout est précieux ici, et peut-être que le grand enjeu de ce projet, c’était faire la place, s’ouvrir au 21e siècle, tout en conservant tout ce qui est le plus précieux dans la Bourse de Commerce.

« Le miracle de la Bourse de Commerce, c’est que ce monument est, depuis le 16e siècle, porté par des projets radicaux. »

Colonne Médicis
Fermer Bourse de Commerce — Pinault Collection, mars 2020 Courtesy Bouygues Construction. Photo Vladimir Partalo

Quels ont été les grands défis de cette restauration ?

Tout est défi dans un projet de restauration, ce n’est jamais une leçon que l’on récite. Chaque structure architecturale est différente et chaque projet de recomposition est différent. Peut-être qu’un des enjeux les plus importants, les plus complexes pour nous a été de sauver la coupole de Bélanger. Les reconnaissances par drone ont montré qu’elle était dans un état de conservation exceptionnel. Mais cela ne suffit pas dans le monde d’aujourd’hui. Comment est-ce que j’explique que cet ouvrage de 1812 résiste aux nouvelles tempêtes, résiste aux vents ? Comment tenir compte des règlementations les plus récentes qui s’imposent à nous ? Comment, avec le bureau d’études TESS, trouver des dispositifs de renforcement qui n’altèrent pas l’authenticité de cette coupole en fonte de fer ? J’ajoute que les grands théoriciens de l’architecture du 19e et du 20e siècle disent que c’est cette coupole qui introduit le monde moderne de l’architecture. Donc il était essentiel de la conserver, mais d’accepter un regard contemporain, critique sur cet ouvrage.

 

Comment concilier conservation et création d’un nouveau musée ?

C’est un enjeu culturel, c’est tout à la fois pouvoir dire que l’histoire doit être conservée, mais que l’histoire en fait s’ouvre au nouveau monde et à la modernité. Est-ce que tout lieu est susceptible de vivre cette rencontre ? Je ne sais pas, mais sans doute le miracle de la Bourse de Commerce, c’est que ce projet est depuis le 16e siècle, porté par des projets radicaux : le cercle pur, point, une cour centrale circulaire, point, et puis ensuite il faut couvrir cette cour et donc invention technologique : la première coupole en fonte de fer. J’ai un peu la sensation que cette radicalité permanente, portée par ce lieu et son histoire, pouvait s’ouvrir peut-être plus aisément à un nouveau geste aussi radical que celui de maître Ando.

 

Le bâtiment vous a-t-il livré des secrets et quelles ont été les belles surprises ?

 

Trouve-t-on toujours les artisans et les savoir-faire pour accomplir ces restaurations ?

Nous disposons en France de ressources remarquables pour s’engager dans ces grands projets de conservation du patrimoine. Ce qui est exceptionnel à la Bourse de Commerce, c’est qu’il faut tout à la fois les métiers les plus traditionnels, mais également des métiers qui sont nouveaux, tous ceux qui vont travailler sur les matérialités du 19e et du 20e siècle. Nous savons restaurer une menuiserie en chêne, nous savons redessiner une menuiserie en chêne disparue, nous savons intégrer un produit verrier très technologique sur une coupole en fer de 1812. C’est incroyable !

 

Quel est votre plus beau souvenir de ce chantier ?

Depuis longtemps, je regardais la Bourse de Commerce. L’ouvrage est tout à la fois l’hôtel de Soissons, la Halle au blé, la coupole de Bélanger. L’enjeu du regard le plus contemporain, c’est de savoir tout regarder, tout comprendre, pour, selon moi, tout transmettre. Mais jamais je n’aurais imaginé qu’un jour, je travaillerais sur ce lieu incroyable qui m’a beaucoup construit. C’est plus qu’un souvenir, c’est une expérience. Et puis, il y a une école de l’architecture, des jeunes architectes qui projettent un regard très neuf, très contemporain, très appliqué dans le travail de préservation. C’est très enthousiasmant.

« L’enjeu du regard le plus contemporain, c’est de savoir tout regarder, tout comprendre, pour, selon moi, tout transmettre. »

Coupole
Fermer Bourse de Commerce — Pinault Collection, mars 2020 Courtesy Bouygues Construction. Photo Vladimir Partalo

Quelle a été votre première rencontre avec l’art et l’art contemporain en particulier ?

Mon père était architecte et ma mère était traductrice de grande littérature japonaise, des prix Nobel de littérature japonaise. Dans une échelle de valeurs, la seule chose qui comptait au monde, c’était l’art et la culture. Ce n’était pas la seule chose, non, mais que le monde sans cela ne serait pas le monde. Mon premier souvenir, je ne sais pas, je pense que j’ai eu la chance tout le temps de regarder, que l’on me montre… Avec l’âge, on regarde des choses différentes. Je pense que ce que je regardais à 17 ans n’est pas forcément ce que je regarde aujourd’hui. Il y a une personnalité qui, depuis de nombreuses années en fait, m’accompagne, me bouleverse, c’est Donald Judd. Il est l’incarnation de ce minimalisme exceptionnel, il est sans doute l’un des inventeurs de ce concept du loft, c’est-à-dire habiter, vivre dans un ancien entrepôt. Et alors même qu’il développe, dessine, fait réaliser ses œuvres minimalistes, il engage la restauration de son home and studio, de son grand atelier qui est cette architecture de fonte. Il est très radical. Pour être très radical, il faut conserver le patrimoine, et donc voilà la leçon de Donald Judd qui m’anime aujourd’hui.