À propos de l'œuvre de David Hammons

David Hammons
Article
21 juillet 2021

À propos de l'œuvre de David Hammons

« C'est une première mondiale dans une institution, d'avoir une trentaine d'œuvres de cet artiste qui est collectionné par François Pinault depuis plus de vingt ans. » Caroline Bourgeois

Temps de lecture
6 mn
Par Caroline Bourgeois,
Conservatrice auprès de la collection

Artiste contemporain phare et pourtant rarement exposé, David Hammons est peu connu du grand public, en particulier en France. Pourquoi ?

C'est un artiste qui a inventé sa façon d'être artiste en partant de sa condition d'homme noir aux États-Unis, en allant jusqu'à faire des performances dans la rue, en vendant des boules de neige. Il s'est autorisé lui-même à devenir ce qu'il est devenu et il a changé les règles de, entre guillemets, l'art, en refusant toute exposition. Personne ne peut prétendre connaître l'ensemble de son travail. Il n'a pas de catalogue raisonné, il n’a pas de galerie attitrée.

 

Pourquoi cet accrochage constitue-t-il un événement ?

C'est une première mondiale, en fait, dans une institution, d'avoir une trentaine d'œuvres de cet artiste qui est collectionné par François Pinault depuis plus de vingt ans. C'est une passion de longue date.

Comme je le disais précédemment, il n'accepte pas les expositions institutionnelles. Donc je pense que c'est fantastique de pouvoir entrer dans son travail avec une telle ampleur de propositions pour comprendre toutes les démarches. C'est très bouleversant et rare de voir cette sélection Il y a des artistes qui sont reconnus comme artiste, pour citer un quelqu'un qu'on connaît bien en France, Courbet, par exemple, qui a autorisé une manière de peindre, lui a autorisé une manière d'être.

« C'est une première mondiale dans une institution, d'avoir une trentaine d'œuvres de cet artiste qui est collectionné par François Pinault depuis plus de vingt ans. »

 

Pourquoi et comment David Hammons compte-t-il autant dans le paysage contemporain ?

Par sa manière de rendre possible qu'un reste de ballon de basketball (puisque je le vois en face de moi) devienne une œuvre, ça c'est quelque chose. Des restes de culture peuvent devenir des objets d'art, des chutes, des failles, des ratés peuvent devenir des œuvres d'art. Ça, c'est une énorme autorisation. Il n'a pas reconnu l'institution comme lui donnant une valeur et il a compris qu'il y avait une force dans le marché de l'art. Et comme certains autres artistes entre autres femmes, je pense à Roni Horn, ils ont travaillé leurs valeurs comme une démarche politique, leur valeur financière. Puisqu'on est dans une époque, ou bien on était dans une époque, où la finance prenait le pas, il a complètement chamboulé les règles en ne prenant pas une galerie, en mettant parfois en vente aux enchères lui-même des œuvres, en imposant un prix qui n'a rien à voir avec le marché. Parfois, on se demande où il a l’idée de telle œuvre. Et donc, une fois, j'étais dans son studio et je lui dis « mais comment as-tu pu penser à telle œuvre ? » et il me dit « mais ce n’est pas moi qui l’ai pensée, c’est elle qui m’a trouvé. » Voilà, cette espèce de renversement où d’un coup on se dit c'est évident, et bien il n'y en a pas beaucoup qui arrivent à le faire.

 

Comment un si grand nombre d’œuvres de David Hammons se trouvent réunies?

François Pinault a cette particularité d'entrer en profondeur dans le travail des artistes qui rentrent dans la collection. Enfin, c'est le cas de plusieurs et vous le percevrez dans l'ensemble du parcours de la Bourse. Et le début d'acquisition de David Hammons date d'il y a vingt ans. Comme je le disais tout à l'heure, ce n'est pas quelqu'un qui a beaucoup d'expositions, ce n'est pas quelqu'un qui a souvent des choses à vendre. Donc c'est forcément un travail de longue haleine d'arriver à un tel corpus, la plus grande collection au monde de David Hammons. Ça prouve aussi l'engagement et le risque que peut prendre François Pinault.

Cette démarche engagée au sens large, elle est présente dans beaucoup, beaucoup d'artistes de la collection. Il n'a pas peur. Un grand artiste est quelqu'un qui s'engage et une grande œuvre a toujours une dimension politique. Et on est fier qu’aujourd'hui, David Hammons soit beaucoup plus reconnu qu'il ne l'était il y a vingt ans. La beauté d'être qui on est, et dans son cas, noir, et d'inventer sa manière de faire, c'est ça qui est un des plus grands gestes. Se dresser. Exister et naître. Il autorise ça.

« Un grand artiste est quelqu'un qui s'engage et une grande œuvre a toujours une dimension politique. »

 

Quels sont les sujets de ces œuvres, leurs thèmes ?

Alors déjà, c'est quelqu'un qui fait tout genre de médium : performance, body print, Comment marquer un papier, mais comment marquer tout court. Et puis, par rapport à l'idée patriotique ou nationaliste aussi, questionner l'identité américaine, de dire comment on peut être noir dans l'identité américaine. Le drapeau parcourt l'ensemble de son travail.

Ensuite, il y a les basketball drawings. Le ballon est dribblé, comme on dit, dans du graphite et ensuite il est dribblé sur une feuille blanche et apparait ce qui apparait. Et c'est là où on voit très bien le processus devenir œuvre parce qu'il s'arrête un moment donné. Et l'oeuvre est là. 

Donc, c'est une autre impression, dans tous les sens du terme, puisque ça peut évoquer beaucoup de rêves. Il y a une bicyclette un peu foutue en l'air qui évoque tellement les homeless qu'on peut voir évidemment ici, mais dans Central Park et partout, avec un ghetto blaster. C'est la présence de la musique, toujours. Vidéo, il pousse une poubelle dans la rue et ça fait vraiment penser à Jean-Luc Godard, « je ne sais pas quoi faire ».

 

Qui sont ces chats qui dorment sur les tambours ?

D'abord, les tambours sont très hauts, donc ça parle aussi de cette grandeur athlétique qu'on ne voit que chez les Noirs américains. Ensuite, les chats sont des chats de gouttière, des homeless. C’est tous ces chats qui dorment partout et n'importe où. Et c'est aussi une sorte de clin d'œil un peu provocateur sur le fait que les Noirs n'avaient le droit qu'à la musique ou au sport. Mais là, c'est des tambours presque primitifs par rapport à la fantastique créativité du jazz. Donc, c'est une manière de parler des destins.

David Hammons, qui parle peu, mais quand il parle, c'est assez déterminant, il dit : « Je suis un artiste, mais je ne suis pas du côté du monde de l'art. » « J'ai décidé il y a très longtemps que le moins je faisais, plus je serais un artiste. »