
La résidence d’artistes de Lens — Tirdad Hashemi & Soufia Erfanian
Accueilli∙e dans la résidence d’artistes de Pinault Collection à Lens cette année, Tirdad Harshemi revient sur ces onze mois de création qu’iel a partagé avec sa partenaire Soufia Erfanian.
Quelle expérience retenez-vous de ces onze mois passés au sein de la résidence d’artiste de Pinault Collection ?
L'un des aspects intéressants de la vie à Lens était que, pour maintenir notre vie sociale, nos amis parisiens venaient séjourner chez nous — ce que je trouvais très excitant car j'ai toujours rêvé de vivre en communauté, tout comme je collabore dans mon travail. Je n'ai jamais vécu entièrement seule, car je pense que le fait de partager des points de vue avec d'autres me nourrit beaucoup et m'ouvre de nouvelles perspectives. Pour moi, ce mode de vie est plus adapté et m'aide à m'épanouir, à contrer la solitude. À d'autres moments, c'était à notre tour de voyager.
Au cours de l'année écoulée, avec Soufia, nous avons découvert de nombreuses régions du nord de la France que je n'avais jamais visitées auparavant, ce qui était fascinant en soi. D'un point de vue artistique, être à Lens m'a également apporté quelque chose de précieux : la vie y est beaucoup plus calme que dans une grande ville, ce qui m'a permis d'avoir plus de temps et de concentration. L'atelier de la résidence Pinault Collection dont nous avons pu disposer était également très grand, ce qui nous a permis d'expérimenter des œuvres et des matériaux à plus grande échelle.
Soufia Erfanian a partagé cette résidence avec vous. Comment travaillez-vous en duo ?
Travailler avec Soufia est toujours une chose aisée pour moi, car elle n'est pas seulement ma partenaire artistique, mais aussi ma compagne. La peinture est devenue pour nous un moyen de dialoguer, une façon de communiquer l'un avec l'autre, et cela nous rassemble grâce à nos approches différentes. Lorsque je travaille avec Soufia, je remarque que les œuvres prennent une autre dimension, et les sujets que nous choisissons ensemble créent une atmosphère très différente de celle que j’initie lorsque je travaille seul∙e. D'un point de vue personnel, j'ai également l'impression que lorsque nous collaborons, les œuvres sont beaucoup moins « agressives ».
En quoi l'aspect brut du pastel vous permet-il de transmettre des émotions et des images ?
Quand j'étais enfant, j'utilisais beaucoup les pastels. Plus tard, pendant mes années universitaires, alors que je travaillais sur ma thèse, je me suis blessée aux tendons de la main droite et j'ai dû porter un plâtre. C'est à cette époque que j'ai recommencé à utiliser les pastels, mais avec ma main gauche. Pour moi, cet outil a donc toujours eu une forte charge émotionnelle : il me ramène à mon enfance, à une époque où dessiner me semblait très naturel et facile. Le pastel est devenu le matériau qui m'a sauvé. C'était quelque chose que je pouvais encore contrôler et utiliser facilement, et qui m'a permis de terminer mon travail. À cette époque, je craignais même de ne plus jamais pouvoir dessiner de la main droite, et j'ai réalisé à quel point le dessin était essentiel pour moi : je ne peux pas m'imaginer sans lui.
Je pense que lorsque notre dessin est simple et fluide, cela signifie que l’on est sur la bonne voie, car nos émotions peuvent s'exprimer honnêtement auprès du regardeur. Et ce que je trouve très unique dans le pastel est son caractère direct : on le tient dans sa main, on le touche et on sent sa texture pendant qu’on dessine. Cela crée une relation intime : on est simultanément conscient de l'essence du matériau et de la pression de sa propre main, qui se transfère directement sur le papier. Tout semble proche et personnel. Cette proximité permet de créer un lien profond entre le pastel et moi, mais aussi d'établir une connexion immédiate et émotionnelle avec le spectateur.

Dans le nouveau corpus d'œuvres que vous avez créé cette année, vous déployez une galerie de portraits qui viennent se superposer à un vaste herbier floral, végétal. Pourquoi cette association ?
Comme Soufia et moi sommes colocataires et que nous partageons la responsabilité d'aménager la maison, l'une de mes tâches préférées est de m'occuper des plantes : celles sur la terrasse, à l’intérieur, ou encore du jardin, s'il y en a un. Ces plantes sont des êtres vivants, et l’on peut voir le résultat des soins qu’on leur porte lorsqu’on interagit avec elles. Pour moi, cela peut se comparer à une relation avec une personne. Décider quelle plante va à l'intérieur ou à l'extérieur, ou laquelle va où : tout cela a une signification symbolique. Chaque plante raconte une histoire, reflétant souvent des personnes que nous connaissons personnellement ou des aspects de nos propres relations. Il y a ici un profond sentiment de proximité.
En parallèle, vous avez développé de plus grands formats : des scènes figuratives qui rassemblent et connectent les corps. Comment cette série s'inscrit-elle dans votre pratique ?
Ces séries sur lesquelles Soufia et moi avons travaillé à plus grande échelle sont deux « collections » distinctes, mais d'une certaine manière, nous les avons vécues ensemble comme une seule et même entité, au sein du même atelier. Le fait de travailler ainsi côte à côte opère un certain charme : parfois, on peut voir que certaines couleurs de la palette de Soufia apparaissent subtilement dans la mienne, parfois l'inverse. Nous avons tous les deux travaillé sur des détails très personnels.
La série que j'ai créée est une collection de corps queer, isolés, sur lesquels on peut clairement voir des masques chirurgicaux transgenres. Ces œuvres présentent le corps d'une nouvelle manière, montrant que les « nouveaux corps » peuvent avoir des familles, des enfants. Elles explorent aussi la façon dont ces enfants grandissent et dont leur environnement les façonne. J'avais imaginé cette collection dans mon esprit bien avant d’être majeur∙e. Mais en Iran, je ne pouvais pas représenter de manière réaliste des couleurs de peau aussi divers, ni des corps aussi exposés et ouvertement connectés à leur chair, à leur propre présence.
« La peinture est devenue pour nous un moyen de dialoguer, une façon de communiquer l'un avec l'autre, et cela nous rassemble grâce à nos approches différentes. »
La vie communautaire est également importante pour vous, de façon générale. Comment l'avez-vous explorée au sein de cette résidence Pinault Collection ?
L'un des souvenirs qui restera gravé dans ma mémoire est sans doute l'expérience partagée avec les autres artistes invités, qui étaient eux aussi des immigrés. Vivre ensemble dans ce cadre collectif, dans une maison où chacun disposait d'un espace privé, mais aussi d'un espace commun où nous pouvions faire des choses ensemble, était très spécial. Dans notre cas, quelque chose d'amusant s'est produit : inconsciemment, nous avons tous commencé à parler plus fort que d'habitude. Et puis, lorsque nous sommes retournés dans nos appartements parisiens, nos proches nous ont dit : « Pourquoi parlez-vous si fort ? Parlez plus doucement, s'il vous plaît ! » Ce contraste entre l'espace et le comportement est devenu un souvenir amusant de cette résidence, et m'a fait réaliser à quel point l'environnement lui-même peut façonner les expériences de manière très différente.
Personnellement, comme j'aime beaucoup accueillir des gens et que j'adore la vie en communauté, cette maison m'a semblé très différente des appartements dans lesquels j'ai vécu. Je pense que le meilleur souvenir que je garde de cette résidence est précisément ce sentiment de vie communautaire, quelque chose que j'avais toujours souhaité expérimenter à Berlin et à Paris, mais que je n'avais jamais eu l'occasion de faire, car dans les grandes villes, de telles maisons ne sont tout simplement pas accessibles.
Quelle anecdote vous a particulièrement marqué∙e au sein de la résidence ?
Un souvenir très important de cette résidence, en particulier pour moi qui suis peintre et vis en Europe, est d'avoir eu facilement accès à la lumière naturelle dans mon atelier. Cela me paraît essentiel, et a fait toute la différence. Mais une autre chose qui m'a beaucoup amusé∙e, c'est que la résidence Pinault Collection est située à proximité immédiate d’une école. Chaque jour, on entendait de la musique et les enfants dansaient. Pour moi, assister à ces temps d’amusement était vraiment captivant. J'ai trouvé très important pour les enfants d'avoir ce genre d'expérience, et cette école m'a vraiment marquée. Le son de leurs rires et de leur musique restera probablement toujours gravé dans ma mémoire.