La Halle au blé recréée pour le jeu vidéo «Assassin’s Creed Unity»

La Halle au blé dans Assassin’s Creed
Vidéo
11 janvier 2021

La Halle au blé recréée pour le jeu vidéo «Assassin’s Creed Unity»

« Assassin’s Creed » est l'un des plus grands succès d’Ubisoft. Le 8e opus se déroule pendant la Révolution française dans un Paris reconstruit virtuellement. L’intrigue conduit le héros jusqu'à la Halle au blé, future Bourse de Commerce. Un challenge technique, historique et ludique.

Temps de lecture
10 mn
Par Vincent Manilève,
Rédacteur chez Ubisoft

Quel est le rôle du directeur artistique dans un jeu vidéo comme Assassin’s Creed Unity ?

Mohamed Gambouz, directeur artistique dAssassin's Creed Unity – Son rôle principal est de définir une intention pour donner une direction aux choix artistiques, que ce soit en termes de palettes de couleurs, d’ambiance joyeuse ou sinistre, de style vestimentaire et architectural… Quand on a défini cette intention, on orchestre le travail de l’équipe artistique pour l’implémenter dans le jeu. Dans le cas d’Assassin’s Creed Unity, on s’est inspiré des peintures de l’époque : par exemple, on a beaucoup analysé le traitement atmosphérique d’Eugène Delacroix lorsqu’il a peint la Révolution, celle d’une ambiance lourde où les nuages se mélangent avec la fumée des fusils et des canons.

 

Pourquoi travailler avec un historien pour concevoir un jeu vidéo ?

M. G. – L’historien permet de se projeter dans l’univers choisi, de comprendre pourquoi certains événements ont eu lieu, de se visualiser comment ils se sont déroulés, de se figurer le quotidien des individus... en un mot, de cadrer les idées des développeurs ! Il est aussi en mesure de les nourrir d’anecdotes pour enrichir l’intrigue.

Maxime Durand, historien – On fait des jeux vidéo d’abord pour divertir ; sauf que l’historien apporte une cohérence indispensable au jeu : ce que l’on propose a un impact sur les représentations, qu’elles soient sociales, politiques, urbaines, architecturales… L’historien a donc un rôle de support et d’inspiration pour les développeurs. Il les aide à définir les moments clefs, les courants de pensée, les lieux incontournables mais également les personnages qui ont marqué l’époque, de préférence des personnages qui meurent étant donné le profil d’assassin du personnage principal. Avec les années, j’ai également travaillé sur les produits dérivés de la franchise, notamment des livres, pour assurer une cohérence historique à l’ensemble de nos projets.

Comment l’historien participe-t-il à la création du jeu ? Quelles sources utilise-t-il ?

M. D. – Selon les projets, les sources peuvent être très différentes, mais elles sont de plus en plus accessibles à l’ère numérique. On débute par une recherche en superficie, au moyen des encyclopédies, films, séries, romans… qui nous aide à nous mettre dans l’ambiance. Puis, nous entrons dans les détails. Avant de reconstruire la Halle au blé, il fallait que l’on comprenne la Révolution française, l’Ancien Régime, les massacres de septembre, les États généraux, etc. C’est après avoir compris cela que l’on étudie l’archéologie et l’architecture des lieux que l’on veut inclure dans le jeu. On crée donc le terrain de jeu, ici Paris, puis on place des bâtiments, des rues… Plus le développement avance, plus on affine ces formes.   

 

Paris et ses bâtiments sont recomposés pour les besoins du jeu, certains éléments sont exagérés et d’autres simplifiés. Comment les développeurs s’approprient-ils le travail de recherche des historiens pour réinventer un bâtiment comme la Halle au blé ?

M. D. – On a pu retranscrire la Halle au blé avec une grande fidélité, notamment grâce aux nombreuses archives disponibles au sein de la Réunion des musées nationaux. Mais aussi parce qu’elle fait l’objet d’un large traitement artistique. Par ailleurs, je me rappelle le travail de Michel Huard, architecte et urbaniste qui a édité des atlas de Paris à travers les siècles en compilant différentes sources. Ses plans nous ont permis de mieux comprendre comment les bâtiments étaient situés les uns par rapport aux autres. Ainsi, la Halle au blé est un lieu vivant, rempli de sac de grains, telle qu’elle était autrefois.

M. G. – Le rôle du développeur est de rendre un espace de jeu stimulant à parcourir pour le joueur. Pour la Halle au blé, il a fallu s’assurer que le bâtiment était intéressant à infiltrer, à escalader, à observer, à comprendre… La rotonde de ce bâtiment circulaire était vide et il a fallu ajouter un échafaudage et des éléments en bois pour faciliter la navigation du joueur. Au sol, des barricades, des objets brisés, des détritus et tout un tas d’éléments contribuent à restituer l’ambiance.

Le rôle du développeur est de rendre un espace de jeu stimulant à parcourir pour le joueur. Pour la Halle au blé, il a fallu s’assurer que le bâtiment était intéressant à infiltrer, à escalader, à observer, à comprendre

Quelles libertés peuvent être prises avec la réalité historique et architecturale ? Comment s’arbitre cet équilibre entre la précision historique, les exigences narratives et fictionnelles du jeu ?

M. D. – Prenons Notre-Dame, le premier bâtiment que l’on a commencé à créer pour le jeu. Au moment de la Révolution, son état se détériore énormément et la première flèche est censée avoir été déjà démantelée en raison d’intempéries. Mais les développeurs ont trouvé dommage qu’elle ne soit pas accessible au joueur et il a été décidé de l’inclure malgré tout. C’était un choix artistique, pas un choix fait par ignorance. Il faut garder à l’esprit que l’on développe un jeu vidéo qui parle au joueur mais dont l’objectif n’est pas de restituer à l’identique.

M. G. – Parfois on privilégie la dimension historique, parfois l’expérience du joueur. Ces décisions au cas par cas se font au fur et à mesure du développement du jeu, c’est un va-et-vient. Pour la Halle au blé, on est parti sur une représentation purement historique, mais en jouant, on a décidé de rajouter des éléments pour faciliter les déplacements.  

 

Existe-t-il des contraintes techniques ou technologiques inévitables lorsque l’on veut recréer un bâtiment historique ?

M. G. – Il y a toujours des contraintes, mais elles sont de moins en moins insurmontables avec les avancées technologiques. Dans Assassin’s Creed Unity, la plupart des bâtiments sont réduits de moitié ou d’un tiers pour favoriser l’expérience du joueur. Notre-Dame était une des exceptions, avec une échelle plus proche du un pour un. On essaye aussi de construire chaque structure avec des modules qui se répètent. Et puis, il y a les métriques : il faut que les espaces de sauts et d’escalades correspondent aux capacités du personnage. Cela peut imposer par exemple de modifier les distances entre deux fenêtres. Ce type de jeu donne envie aux joueurs d’aller se renseigner sur les bâtiments et la période historique qu’ils explorent.

 

Dans quelle mesure ces reconstitutions vidéoludiques peuvent-elles avoir un intérêt pédagogique ou culturel ?

M. D. – Avec Assassin’s Creed, on a quelque chose de très particulier, qui touche à la culture historique mondiale. En jouant à ces jeux, on découvre avec plus de profondeur des cultures antiques, on interagit avec des personnages historiques... À chaque fois qu’on annonce la sortie d’un nouvel Assassin’s Creed, les joueurs se renseignent énormément sur la période historique choisie, pour tenter d’anticiper les enjeux de l’intrigue. L’univers du jeu offre une forme de divertissement mais invite aussi les joueurs à découvrir des choses qu’ils n’auraient pas l’occasion d’apprendre autrement. On sait que des enseignants ont trouvé une vraie valeur pédagogique dans ces jeux.