La Bourse de Commerce au cinéma

Touche pas à la femme blanche
Article
11 janvier 2021

La Bourse de Commerce au cinéma

« Touche pas à la femme blanche ! » est un film franco-italien réalisé par Marco Ferreri, sorti en 1974, et qui prend comme décor l'immense chantier du quartier des Halles dont la Bourse de Commerce.

Temps de lecture
5 mn
Par Jean-Yves de Lépinay,
Forum des Images

« C’est notre Chapelle Sixtine à nous ! » 

C’est ainsi que le général Terry, sous les traits de Philippe Noiret, s’adresse au général Custer, interprété par Marcello Mastroianni, en lui faisant admirer les remarquables peintures qui décorent la partie basse de la coupole de la Bourse de Commerce.

Les toutes premières images de ce film étonnant nous font en effet découvrir quelques détails de cette peinture marouflée, réalisée à la gloire du commerce mondial, et particulièrement les scènes relatives à l’Amérique du Nord, et aux sanglants combats contre les Indiens. La comparaison avec le plafond de la Chapelle Sixtine, où Michel-Ange a génialement exalté la Genèse, permet à Marco Ferreri de nous rappeler d’emblée que le développement du commerce mondial – et particulièrement l’expansion coloniale – est à l’origine de notre système économique.

Si Touche pas la femme blanche ! a connu un échec public cinglant à sa sortie, il est devenu avec les années un film culte, grâce à cette idée incongrue mais extraordinaire d’avoir transformé le « trou des Halles », immense chantier creusé au cœur de Paris entre 1971 et 1973, en un improbable décor pour filmer la reconstitution de la célèbre bataille de Little Big Horn, dernière grande victoire des Indiens d’Amérique sur les soldats de l’armée américaine, en 1876.

Touche pas à la femme blanche

Mais Ferreri ne cherche nullement à créer l’illusion : au contraire, en exposant au sein de ce décor la destruction des derniers pavillons Baltard, en montrant l’église Saint-Eustache perchée au-dessus de la falaise artificielle, ou encore en mettant en évidence la position dominante de la Bourse de Commerce au-dessus de la gigantesque excavation, il fait de cette farce anachronique une redoutable charge sarcastique contre la rénovation urbaine, et plus généralement contre les dérives de la société capitaliste. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une réunion de quelques « représentants de l’économie du pays » – ou, « ce qui revient au même », disent-ils, du « progrès » et de la « civilisation ». Installés à l’intérieur de la Bourse de Commerce, qui devient ainsi dans le film le Quartier Général des dirigeants et de leurs affidés militaires, ils concluent cyniquement à la nécessité d’exterminer les derniers occupants du « trou » – les Indiens devenant métaphoriquement l’ensemble des exclus du développement économique.


Cette action d’extermination doit être immédiate et sans pitié : « Plus nous en tuerons cette année, et moins nous aurons à en tuer l’année prochaine ». Pourquoi est-elle nécessaire ? Car « ces gens refusent d’admettre la valeur de la propriété privée, et les avantages qui en découlent. Ils n’acceptent pas les principes d’égoïsme que la Providence a déposé dans la nature humaine ».

L’ensemble du film est une charge d’une virulence délibérément farfelue, voire potache. Mais c’est aussi l’une des très rares occasions de voir au cinéma ce monument majestueux et sa superbe coupole, ainsi spectaculairement mise en valeur. Car Touche pas la femme blanche ! est certainement le seul film qui fait de la Bourse de Commerce non seulement un décor, mais un véritable personnage.

Paris est l’une des villes au monde qui le plus inspiré le 7e art, qui ne se lasse pas de filmer la Tour Eiffel, l’Arc de Triomphe de la Place de l’Étoile, Notre-Dame de Paris, Montmartre, le Quartier latin, le Louvre… La Bourse de Commerce, elle, malgré son architecture majestueuse, a fort peu attiré le regard des caméras.

Sans doute cette absence est-elle due d’abord au formidable impact visuel du quartier voisin, les Halles de Paris, qui aimantait véritablement l’œil des cinéastes jusqu’au départ du marché, en 1969.

Le départ du « Ventre de Paris », et surtout la destruction des pavillons Baltard puis l’apparition, pendant quelques longs mois, du fameux « Trou des Halles » a fait apparaître en pleine lumière un bâtiment prestigieux jusqu’ici resté dans l’ombre des sunlights. Le génie de Marco Ferreri est d’avoir su voir que ce bâtiment dédié au commerce pouvait devenir une métaphore des excès du capitalisme.

Le départ du « Ventre de Paris », et surtout la destruction des pavillons Baltard puis l’apparition, pendant quelques longs mois, du fameux « Trou des Halles » a fait apparaître en pleine lumière un bâtiment prestigieux jusqu’ici resté dans l’ombre des sunlights.

À la fin du film, les représentants zélés du pouvoir économique quittent le champ de bataille en montgolfière, survolant le paysage de la ville éventrée, après la déroute provisoire de leurs armées. La rondeur du ballon offre un curieux écho visuel au dôme de la Bourse de Commerce. C’est un peu comme si leur Quartier Général s’envolait vers d’autres batailles, délaissant, cloué au sol, l’ancien monument autrefois dédié au développement du commerce mondial, désormais privé de son aura.

Le Trou des Halles n’est plus qu’un souvenir confus dans l’esprit des Parisiens. La Bourse de Commerce n’est plus dans l’ombre du pittoresque marché central, du « Ventre » de la ville. Le souvenir nostalgique du Paris ancien s’efface peu à peu.

Touche pas à la femme blanche

Mais le quartier des Halles est bien toujours l’un des « cœurs » du Paris contemporain. Désormais située dans le plein axe qui structure le jardin Nelson Mandela, face à la Canopée, la Bourse de Commerce a trouvé sa nouvelle vocation. Celle-ci pourrait bien inspirer de nouveaux cinéastes.