« Si je savais ce que signifie cette souris, ce ne serait pas une très bonne œuvre d’art » Ryan Gander
La petite souris qui murmure dans un coin du musée, c'est lui.
Découvrez l'interview de l'artiste Ryan Gander.
Artiste
Vous avez conçu une montre et une horloge murale qui ne donnent pas l’heure. Que racontent-elles ?
Elles nous disent que notre obsession pour la mesure du temps est en contradiction avec la nature humaine. Je la trouve… assez malsaine. Avant, les êtres humains vivaient dans un état de stase, pas de croissance. L’accélération du capitalisme est inévitable et toujours plus difficile à discerner. Avant, nous n’avions pas vraiment besoin de mesurer le temps ou la richesse. Compter n’était pas si important… Les civilisations florissantes vivaient selon le temps, Kairos – une conception du temps basée sur « le bon moment ou l’occasion opportune », sur l’immédiateté – et pas selon le temps, Chronos, dicté par les horloges. Imaginez un monde où l’on mangerait quand on a faim, et non à l’heure des repas.
« Avant, les êtres humains vivaient dans un état de stase, pas de croissance. »
Vous collectionnez les montres. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ces instruments de mesure et d’organisation du temps ? Quelle place reste-t-il aux montres dans un monde fait d’écrans et d’interfaces digitales ?
Curieusement, je collectionne les montres pour toutes sortes de raisons, sauf celle avec laquelle la plupart des gens les associent : la richesse. Aujourd’hui, tout le monde possède un smartphone et nous n’avons plus besoin de porter une montre. Comme les montres devraient être des reliques inutiles, on peut vite en déduire que ceux qui en portent encore les considèrent comme des signes extérieurs de richesse. J’adore la sémiotique de la montre : c’est un signifiant net et précis de toutes sortes de choses qui aide à construire et à comprendre la personnalité de son propriétaire. J’adore les montres pour leur provenance, l’histoire de leur création, leur statut dans un monde d’objets précieux, leur valeur sentimentale, mais surtout pour les superstitions qui leur sont associées.
Votre souris animatronique surprend les visiteurs qui empruntent l’ascenseur de la Bourse de Commerce. Quel est son message ?
Ses petits couinements expriment le besoin de laisser une trace de notre passage sur terre. Ils érigent un monument au langage, la seule chose qui distingue les êtres humains des animaux. Sa difficulté à s’exprimer illustre notre besoin de raconter des histoires et d’être entendus, même quand nous n’avons rien à dire, un besoin d’attention excessif dans un monde devenu vorace de contenus.
La souris nous invite-t-elle à sourire de notre propre condition ? Est-ce un aveu d’impuissance de l’art, de son incapacité à comprendre et à s’exprimer ?
Ça pourrait être une interprétation, comme il pourrait y en avoir un million d’autres par un million d’autres spectateurs. L’objectif de l’art n’est pas de communiquer, mais de proposer une ambiguïté catalytique. Si je savais ce que signifie cette souris, ce ne serait pas une très bonne œuvre d’art.
« Sa difficulté à s’exprimer illustre notre besoin de raconter des histoires et d’être entendus, même quand nous n’avons rien à dire, un besoin d’attention excessif dans un monde devenu vorace de contenus. »