Hicham Berrada

Berrada Lens

Hicham Berrada

Le temps d’une année, Hicham Berrada a transformé l’atelier de la résidence d’artistes de Pinault Collection, à Lens, en un laboratoire poétique. Retour sur cette quatrième saison, à la croisée des sciences et de l’art.

​Une année de césure commence pour Hicham Berrada lorsqu’il arrive à Lens, sous un soleil magistral, le 5 juillet 2018. Il vient de quitter son lieu de vie et de travail parisien, avec l’idée de s’installer en province à l’issue de cette résidence. Les objets qui défilent, du coffre du camion de déménagement à l’atelier, pourraient se décliner comme une liste à la Prévert : des aquariums, une colonne en plastique de taille humaine, de petits pots aux couleurs extraordinaires, des plantes… Comme la nature reprenant ses droits, le petit monde bien orchestré d’Hicham Berrada se met en place, des équipements technologiques et numériques de pointe aux composants chimiques et minéraux.

Dès l’enfance au Maroc, Berrada se fascine pour les créations de la nature – « j’ai été “initié” très jeune » reconnaît-il – immergé dans les atlas spécialisés sur les roches et les champignons de ses parents. Son intérêt pour la morphogenèse naturelle (la naissance des formes) remonte à cette période, celle des vacances scolaires qu’il passe à Lourdes, terre familiale maternelle où il arpente les forêts. « Tout petit, j’aimais bien faire des peintures à la gouache, puis je me suis intéressé aux images générées informatiquement et à la photographie » se souvient-il. Après un bac scientifique, il s’inscrit aux arts appliqués ; « c’est là que j’ai compris que les beaux-arts me permettraient de développer quelque chose de singulier, où je pourrais, non pas m’exprimer, mais développer quelque chose de différent, à moi. » Il passe par l’atelier de Jean-Luc Vilmouth aux Beaux-Arts de Paris. Au fil de diverses performances, il se rend compte que ce qui l’intéresse n’est plus de collecter des formes dans la nature mais de les créer, de se « les approprier, d’en contrôler l’apparition et le développement. » Il fait aussi référence à l’oeuvre de Land Art The Lightning Field de Walter De Maria, qui, en 1977 « convoque les éclairs dans sa composition. » Un produit de la rencontre entre l’homme et la nature.

« J’essaye de maîtriser les phénomènes que je mobilise comme un peintre maîtrise ses pigments et pinceaux. Mes pinceaux et pigments seraient le chaud, le froid, le magnétisme, la lumière. »

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Si Berrada s’inspire naturellement de l’histoire de l’art, il trouve aussi dans la philosophie grecque des indices de ce qu’il cherche à exprimer. Dans la Physique d’Aristote, il relève ce point commun entre un gymnaste, un agriculteur et un médecin : tous collaborent avec la nature, par la connaissance et des gestes détournés, pour arriver à leurs fins. « Je travaille dans cette idée-là, d’épouser des processus chimiques pouvant parfois être longs, main dans la main avec la nature. » Avec lui, la science devient un outil de convocation du réel. Ses expérimentations interviennent dans un champ vierge de recherches scientifiques. Ici, il n’est pas question d’applications médicale ou militaire, simplement picturales. Et à haute portée poétique.

Berrada voit dans cette résidence l’ouverture d’un temps long, une opportunité de continuer des recherches commencées mais non résolues. « J’avais des pistes en arrivant, comme les algorithmes auxquels je m’étais intéressés à la Villa Médicis, ou la géométrie en 3D ». Il fait l’analogie entre la croissance des plantes et le développement de son travail : « les moyens économiques et humains ne peuvent accélérer ces choses-là. » Berrada décrit les journées passées à l’atelier comme un cirque de Calder avec une multitude de processus à activer : une imprimante 3D, des bacs de refroidissement, des instruments pour coller, souder, des compresseurs et un aérographe, des caméras et des logiciels informatiques. 

« Je suis ici comme un chef d’orchestre de choses inanimées ou faussement animées, c’est-à-dire qui miment l’animé mais qui sont minérales ou informatiques. » Il ajoute avec humour : « Il n’y a rien de vivant ici, mis à part les cactus. » et son esprit bouillonnant.

Les nouvelles recherches d’Hicham Berrada portent sur la création artificielle d’une nature à la complexité imperceptible par l’homme. Il évoque le jardin zen, composé de rochers naturels, choisis par l’homme dans la nature pour la pureté de leurs formes. « Ces pierres à la morphogenèse unique permettent de se projeter mentalement dans des espaces plus grands, mais cela est factice. » Grâce à la technique de la photogrammétrie l’artiste entrevoit la possibilité de reconstituer en 3D de vraies montagnes façonnées par le temps, qui seraient alors « de “vraies” pierres de jardin zen, sculptées comme pourrait le faire le vent ou une rivière. »

En transition de cette année d’expérimentations, le Louvre-Lens, prestigieux voisin de la résidence, lui a consacré, dans son Pavillon de verre, une exposition intitulée « Paysages générés » du 19 juin au 1er septembre 2019.

Des aquariums mettent en scène la cannibalisation de sculptures, mélanges de bronze, argent, laiton et étain, par des eaux chargées en électro conductivité, qui produisent leur œuvre destructrice jusqu’à l’érosion de certains des matériaux. La notion d’entropie (de désordre organisateur) irrigue les réflexions de l’artiste, qui voit dans la catastrophe une œuvre de la nature : « c’est très beau, le moment où ça s’effondre, tu as l’impression d’assister à quelque chose de l’ordre de la grâce. » Ce sentiment de spectateur étonné, il est le premier à l’éprouver dans son atelier. Puis, c’est en contrôlant chaque paramètre qu’il reproduit le phénomène recherché, dans un espace et en un temps donné, à destination des spectateurs. Le même phénomène est à l’œuvre dans sa nouvelle série des « Augures mathématiques ». Il génère des algorithmes qui donnent naissance à des formes qui dépassent l’imagination. La morphogenèse des nuages, des racines, des lichens, inconnue puis encodée « est une nouvelle esthétique qui naît sous nos yeux. » C’est cette démarche « profondément sincère » qu’il poursuit : celle d’une idée de base qui se développe en de nouvelles formes qui s’autogérèrent. Berrada souhaite que les spectateurs de ses œuvres puissent, eux aussi, projeter leurs intuitions dans les œuvres, comme une invitation à la rêverie, car il y a autant d’interprétations possibles que de rapports entre l’homme et la nature… à l’instar de Max Ernst, qu’il cite, il cherche ainsi à « exciter les facultés visionnaires »

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